« C’est notre regard à nous qui change celui des autres »
Il y a dix ans maintenant, Reshada découvre un petit trou dans ses cheveux. Ils sont longs, magnifiques et font la fierté de cette maman de deux petits garçons. On lui diagnostique un lupus érythémateux disséminé responsable de cette alopécie. Aujourd’hui, même si elle n’accepte toujours pas cette perte capillaire, elle a appris à vivre avec et à en faire une force. Devenue coach bien-être et de santé, Reshada a créé un compte @reshada_soistoi passerelle remplie d’espoir qui accompagne les femmes à pétiller avec la maladie.
Reshada, comment est survenue cette alopécie?
La perte de cheveux n’est pas apparue brutalement, mais petit à petit. J’ai d’abord aperçu un trou pas plus grand qu’une pièce de 50 centimes au milieu de mon crâne. Sur le coup, on se dit que ce n’est rien, que ça va passer. Le médecin me prescrit des crèmes, mais elles n’ont pas beaucoup d’effet. A cette époque, j’ai de magnifiques cheveux longs et j’essaye de camoufler un peu. Parallèlement, je commence à être très très fatiguée. Mais ces signes que le corps envoie, on n’y prête pas suffisamment attention, car la vie suit son cours, puis le travail et les enfants font que le quotidien reprend le dessus. Mais je sens que je ne suis pas dans mon état normal. Pourtant, les examens médicaux ne révèlent rien d’alarmant, sauf une petite anémie. A ce moment-là, on entre dans un cercle vicieux, au point que le médecin opte même pour une dépression. J’ai déjà connu des moments de déprime sur mon chemin de vie, mais j’ai quand même le sentiment qu’il s’agit d’autre chose. Et un matin, je me réveille avec une touffe de cheveux dans les mains…
Mes enfants m’ont dit: «Maman, arrête de mettre des foulards à la maison, car là tu fais vraiment malade.»
Et là, on vous diagnostique une maladie auto-immune
Je me fais hospitaliser en médecine interne pendant une dizaine de jours. Je suis confrontée à des spécialistes, je me soumets à une batterie d’examens très poussés. Pendant le même temps, la plaque sans cheveux s’agrandit. Le dermatologue procède alors à une biopsie du crâne et le verdict tombe: je souffre d’un lupus, maladie auto-immune à l’origine de cette pelade. Comme tout cela n’est pas arrivé brutalement, à la fois la perte de cheveux et l’annonce du lupus, j’ai géré, je n’en ai pas beaucoup parlé, je pense même avoir fait un déni. Mais je ne pensais pas, dix ans après, que ça allait définir la personne que je suis devenue aujourd’hui.
Il paraît que vous avez essayé de faire repousser vos cheveux avec de l’ail?
(Rires). C’est vrai, j’ai expérimenté les recettes de grand-mère. Chaque matin, je frottais mes cheveux avec de l’ail pour activer la repousse. J’ai tout fait: des tissages, des ajouts sur les parties décimées, des traitements sur les plaques, des crèmes et des shampoings miracles qui m’ont coûté une petite fortune et qui n’ont donné aucun résultat… Je me suis fait avoir, mais quand on se retrouve dans une telle situation de vulnérabilité, toutes les solutions sont bonnes à prendre. On veut tellement y croire. Je me sentais perdue, démunie. Et c’est à ce moment-là que je suis vraiment tombée dans la dépression.
Comment avez-vous repris le dessus ?
Grâce à ma famille. J’avais de très beaux cheveux. Or, dans notre société, il s’agit d’un marqueur de féminité. Et moi, je me voyais en train de changer, en train de devenir une autre. Puis un jour mes enfants m’ont dit: «Maman, arrête de mettre des foulards à la maison, car là tu fais vraiment malade.» Le déclic a été violent, mais bénéfique. A force de trouver des artifices, que ce soit les turbans, les perruques ou les tissages, on finit par ne plus savoir qui on est. J’ai donc pris la décision de raser le reste de mes cheveux qui ressemblaient à des trous de gruyère. C’était un choix fort. On découvre alors une autre personne à travers la glace avec une nouvelle histoire qui commence, avec un autre chemin qui nous tend les bras.
« Je suis devenue coach bien-être et santé, je voulais être libre d’être celle que j’avais envie d’être »
Et au travail, ça se passe comment?
A l’époque, j’étais assistante de direction. Le crâne rasé au boulot, ça ne faisait pas très corporate. J’ai donc continué à porter des perruques. Ce n’est qu’en 2020 que je me suis montrée telle que je suis sur mon lieu de travail. Mes collègues ne m’ont plus adressé la parole, sans jamais poser de question, sans jamais me demander pourquoi. Je me suis sentie rejetée.
Aujourd’hui, vous êtes coach bien-être et santé
Ma perte de cheveux a forcément joué dans cette reconversion professionnelle, mais il ne faut pas oublier non plus que mon métier n’était plus adapté par rapport aux phase handicapantes du lupus, dont je souffre, comme des névralgies cérébrales ou des paralysies faciales. Il n’en reste pas moins vrai que je voulais être libre d’être celle que j’avais envie d’être sans avoir à subir le regard et le jugement de mes collègues. Aujourd’hui, je n’ai plus à me cacher, ni de code à respecter.
Dix ans après, comment allez-vous?
Je continue à être suivie à l’hôpital Salpêtrière en faisant attention à mes carences en vitamines. Le suivi médical permet aussi de mettre des mots sur les maux. Même si ça ne se voit pas, je reste malade. Durant sa période d’accalmie, le lupus est une maladie invisible, mais elle poursuit insidieusement son chemin. Je fais du sport, de la marche active et dés que je le peux de la randonnée en montagne. Il faut sans cesse garder le corps en mouvement, il faut veiller à prendre soin de soi
Vous avez créé le compte @reshada_soistoi
Je partage énormément sur les réseaux, je raconte mon quotidien sur mon compte. On doit tous être acteurs de sa santé, se dire qu’il est parfaitement possible de danser avec la maladie, de continuer à avoir des projets, de faire autrement pour ne plus subir. Chacun doit pouvoir s’adapter. Certes, ce qui est dramatique et embêtant reste le lupus, mais la perte cheveux est également extrêmement invalidante au niveau physique et émotionnel. Il s’agit d’une perte d’identité profonde. J’ai réussi à l’accepter, mais je rêve quand même de pouvoir à nouveau passer la main dans mes cheveux…
«Il est absolument indispensable de se retrouver, de se reconnecter avec la personne qu’on est. Sois-toi, ne te cache plus…»
Comment franchir le cap de l’acceptation?
Aujourd’hui, je peux dire que je peux aller dans n’importe quel endroit le crane rasé. C’est tout un processus fait de hauts et de bas qu’il faut accepter, c’est un long chemin et toutes les femmes n’en sont pas encore là. Il n’y a pas de culpabilité, il n’y a pas de concurrence, ni de comparaison, il faut juste assumer et ne plus avoir peur du regard des gens, des autres. Ce lupus et la perte de cheveux m’ont permis de me voir telle que je suis, d’explorer mes limites et de me mettre à nue. Et si je porte des perruques, c’est par envie ou par choix, comme pour le foulard. Ils sont devenus des accessoires de beauté et non plus des artifices.
Amélie, touchée elle aussi par l’alopécie, évoque l’espace lumineux qu’elle a voulu créer autour de la perte de cheveux. Je trouve cette formule particulièrement inspirante
Créer un espace lumineux, c’est exactement ça. J’ajouterais un espace de joie, un espace pétillant, car je suis quelqu’un de très joyeuse. Ma communauté, mais aussi l’association La Tresse, dont je fais partie, m’ont aidé à retrouver cette joie de vivre. Elles m’apportent autant que je leur apporte. Nous sommes riches de tous ces échanges, de tous ces partages. Il est absolument indispensable de se retrouver, de se reconnecter avec la personne qu’on est. Sois-toi, ne te cache plus, ce n’est pas les autres, ça part de nous, car quelque soit la situation handicapante, c’est notre regard à nous qui change celui des autres.